MEDECINS ET RESEAUX SOCIAUX : CONCILIER USAGE ET DEONTOLOGIE MEDICALE
Dr TERKMANE Yacine – Président du Conseil Régional de l’Ordre des Médecins de Blida
En quelques années seulement de développement, et notamment depuis la démocratisation des smartphones, les réseaux sociaux (social média #SoMe) ont envahi la pratique médicale dans ses aspects scientifiques et éthiques. Ces nouveaux médias permettent d’enrichir les échanges entre médecins, entre médecins et grand public. Ils soulèvent néanmoins de nouvelles problématiques éthiques et déontologiques.
La déontologie médicale est codifiée dans le décret 92/276 du 6 juillet 1992, un texte juridique relativement ancien édicté à un moment où les réseaux sociaux n’existaient pas. Ces règles déontologiques sont aujourd’hui soumises à l’épreuve d’un « nouveau monde », celui du numérique en santé. Le challenge pour le médecin est de concilier une liberté de parole et d’expression sur les réseaux sociaux tout en respectant les exigences liées à l’éthique et à la déontologie médicale.
Les médecins peuvent utiliser les réseaux sociaux aussi bien à titre personnel que professionnel. Il est toutefois conseillé de différencier le compte personnel du compte professionnel.
1 - Compte personnel
Comme tout internaute, le médecin peut créer un compte personnel. Ce compte ne partagera que des données de la vie privée non professionnelle.
Sur le compte personnel le médecin doit refuser poliment toute demande de patients désireux de faire partie de ses relations (être amis au sens de FB) en expliquant que le médecin tient à séparer vie professionnelle et vie privée. Cette proximité virtuelle risque de compromettre la qualité de la relation patient-médecin qui doit rester celle de l’empathie et de la neutralité.
Même à titre personnel le médecin reste soumis à certaines obligations déontologiques, notamment le respect de l’article 19 du code déontologie médicale (CDM) qui énonce que ‘’ tout médecin doit s’abstenir même en dehors de l’exercice de sa profession de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci. Le statut du médecin exige une obligation d’exemplarité et à un respect d’une certaine morale en toutes circonstances, même en dehors de l’exercice professionnel et même s’il ne s’exprime pas en qualité de médecin. Là il s’agit de tout médecin, qu’il exerce ou non. L’article 2 du CDM stipule que ‘’ les dispositions du présent CDM s’imposent à tout médecin autorisé à exercer la profession ‘’.
Son statut justifie qu’il soit soumis à des contraintes supplémentaires par rapport au citoyen lambda.
Des faits de la vie privée, même s’ils sont étrangers à l’activité professionnelle proprement dite, peuvent faire l’objets d’une sanction disciplinaire. La déontologie va donc concerner dans certaines circonstances la sphère extra-professionnelle.
2 - Compte professionnel
Le compte professionnel ne comprendra que des informations professionnelles. Il est consultable par les patients et plus largement le grand public.
Un médecin peut communiquer des informations à caractère éducatif, scientifique en lien avec sa discipline ou d’ordre sanitaire.
Le médecin doit respecter les règles de déontologie médicale et doit avoir à l’esprit 3 grands principes :
- 2-1 : Le médecin doit faire preuve de prudence lorsque les propos et les données ne sont pas étayés, ni confirmés et relèvent d’incertitudes ou d’hypothèses. Ne faire état que des données confirmées, fondées sur la science ou sur les recommandations professionnelles émanant des experts et des autorités de santé. (Art 30 du Code de déontologie médicale CDM)
- 2 -2 : Le médecin doit avoir le souci de la répercussion de ses propos auprès du public, d’autant qu’il bénéficie d’une certaine autorité. Il doit avoir présent à l’esprit que ses propos sont susceptibles d’être récupérés, travestis et doit éviter de prêter le flanc à des interprétations tronquées ou erronées.
Il doit se garder de tout propos polémique.
Il ne doit pas viser à tirer profit de son intervention dans le cadre de cette information.
- 2-3 : Devoir de confidentialité et secret professionnel : Le médecin serait tenté de répondre aux questions des patients sur leur santé ; Il doit limiter l’utilisation des #SoMe à l’échange d’informations générales, en dehors de toute activité clinique et à fortiori de toute prescription thérapeutique. Il ne doit donnez aucun avis médical ou rendez-vous en ligne. Un échange sur les réseaux sociaux ne signifie nullement l’établissement d’une consultation médicale.
2 – La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Les procédés directs ou indirects de publicité sont interdits à tout médecin (art 20 du CDM)
Le principe selon lequel la médecine ne saurait être pratiquée comme un commerce est un principe essentiel de la médecine.
Les comportements mercantiles animés par la seule recherche du gain et la cupidité sont en violation flagrante avec les principes éthiques et déontologiques qui régissent la profession et l’exercice médical.
La santé n’est pas un bien marchand.
L’acte médical n’est pas une denrée, une marchandise éligible aux règles du marché et échangée contre une contrepartie de quelque nature qu’elle soit.
Le médecin ne vend pas des ordonnances ou des soins ou des certificats.
La médecine est un service, le médecin perçoit des honoraires et non un prix.
Les procédés directs ou indirects de publicité sont interdits à tous médecins. Les offres et les packs promotionnels, rabais, ristournes pour quelques motifs et à quelques occasions que ce soient sont interdits.
Les méthodes et les pratiques de marketing appliquées à l’exercice médical mettent en cause la respectabilité du corps médical.
A cet égard, la médecine et la chirurgie esthétique sont les domaines les plus enclins à la publicité et à l’utilisation des influenceuses.
Le médecin ne doit pas tolérer ou prêter son concours, à ce que des établissements utilisent son nom, sa notoriété ou sa qualité à des fins commerciales pour donner du crédit à une entreprise économique et/ou commerciale ayant une activité en rapport avec la santé.
Ce principe est à l’origine de plusieurs articles du CDM qui viennent en expliciter la portée, notamment sous forme d’interdictions
- La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Tous les procédés directs
ou indirects de publicité sont interdits à tout médecin (Art 20 du CDM )
- Le partage de photos avant/après est problématique pour plusieurs raisons. Il ne respecte pas l’anonymat, ne respecta pas le consentement et même si consentement le médecin n’a pas le droit de la montrer de façon identifiable, cela constituerait une violation du secret professionnel.
Ce genre de photos ne montrent que les bons résultats alors que dans les faits il y a des ratages, les échecs qui ne sont jamais publiés. Ce serait donner une fausse garantie sur les résultats et une incitation à un recours inutile d’actes de soins. Cela constitue donc une forme de publicité.
Interdiction de :
- de la médecine foraine (art 21)
- Tout acte de nature à procurer au malade un avantage matériel injustifié (Art 24)
- Toute ristourne en argent ou en nature faite à un malade (Art 24)
- Toute commission à quelque personne que ce soit (Art 24)
- L’acceptation d’une commission ou d’un avantage matériel quelconque pour tout acte médical (Art 24)
- de tout partage clandestin d’honoraires (Art 25)
- de compérage (Art 26) :
- de consulter dans les locaux commerciaux (Art 27)
- de retirer un profit de ses prescriptions ou conseils médicaux (Art 29)
- de l’avilissement d’honoraires dans le but d’une concurrence déloyale (Art 65)
3 – Informations sur le médecin lui-même
Les médecins n’ont pas le droit de faire de la publicité mais ils ont le droit d’informer leur patientèle. Le médecin peut communiquer au public des informations sur son activité : ses compétences, son parcours professionnel, a conditions de :
– veiller que l’information soit honnête et loyale
– Ne pas faire de comparaison avec d’autres confrères
– ne pas critiquer les confrères
– Ne pas faire appel ni faire état de compliments, remerciements, commentaires, et témoignages
élogieux de la part des patients ou d’influenceurs le plus souvent contre rémunération.
3 - L’emploi de pseudonyme
Le médecin, pour des activités se rattachant à la profession peut utiliser un pseudonyme, même s’il fait mention de sa qualité de médecin.
Le pseudo permet une plus grande liberté d’expression, de se garder de faire de la publicité et de se protéger des commentaires et avis défavorables.
L’usage du pseudo n’affranchit pas des règles de correction de bienséance et de courtoisie.
C’est toutefois quelque part un peu gênant, cela voudrait dire que le médecin n’assumerait pas ses posts sous sa véritable identité.
Sous un pseudo, le grand public ne peut pas être sûr qu’il s’agit bien d’un médecin en situation régulière d’exercice.
Il est préférable toutefois que le médecin s’exprime sous sa véritable identité
4 – L’e-réputation
L’e-réputation est l’image numérique de l’internaute. Les médecins se doivent d’être vigilants sur l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes. Les informations et publications, les commentaires et avis publiés en ligne sont de nature à impacter l’e-réputation. Cette e-réputation peut à son tour impacter l’activité professionnelle.
Donc courtoisie, respect, pas de polémique avec les confrères ou les patients.
Conclusion
Par leur attractivité et leur généralisation les #SoMe prendront encore davantage d’importance dans la communication entre médecins et entre médecins et patients.
Leur émergence pose de nouvelles problématiques déontologiques et éthiques qui doivent résolues en conformité avec les règles éthiques et déontologiques.